Martine Franck photographiée par Henri Cartier-Bresson, Paris, 1975 © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos

Martine Franck

Je suis partie sans idée préconçue.
Lorsque j’ai entrepris ce long voyage en Orient, j’ignorais que je deviendrais photographe.
Je cherchais simplement à découvrir le monde et moi-même.

En janvier 1964, je me suis donc retrouvée à Katmandu au Népal avec mon amie d’enfance Ariane Mnouchkine. Le premier jour, je fus ahurie de voir la Banque Nationale qui étalait ses pièces d’or par terre au marché ; cela m’a paru fabuleux et fou.

L’hôtel minable où nous logions était plein de rats et de poux et nous avons vite décidé de partir pour un trekking en montagne.

Nous avons quitté la ville à l’aube et je me souviens du froid glacial, de mon émerveillement devant l’architecture vernaculaire et de l’hospitalité des villageois qui nous permettaient de passer la nuit chez eux.

Tout ceci je ne l’ai jamais oublié : la bouse de vaches qu’on mettait à sécher sur la façade des maisons, les oranges énormes qui se pelaient comme des mandarines, les caravaniers tibétains, avec leur joyeux sourire un peu moqueur et leur envie de nous toucher.

Personne ne mendiait comme en Inde. Il n’y avait pas encore de « hippies » et les gens étaient étonnés de voir deux femmes seules.  » Mais où sont donc vos maris? » nous demandait-on régulièrement.

J’ai le souvenir de la beauté partout, les visages, les paysages, les gestes, les objets usuels que je prenais tant plaisir à photographier: je n’avais jamais été aussi heureuse et libre.

C’est en rentrant à Paris que j’ai montré ces images au bureau de « Time Life ». On m’a proposé de devenir stagiaire. J’ai senti que j’avais trouvé ma voie. J’allais devoir travailler beaucoup. J’allais devenir photographe.